Si les punitions sont vieilles comme l’école, les récompenses, elles, sont plus récentes.
Sous la forme essentiellement de bons points, elles ne sont apparues qu’en 1815, à la fin du Premier Empire et au début de la Restauration.
Cette méthode d’instruction, importée de Grande-Bretagne, est orchestrée par un seul maître par établissement qui, juché sur son pupitre, fait cours devant quelque 150 enfants.
Les bons points servent alors de monnaie d’échange, indexés sur des biens matériels et peuvent se transformer en ardoises, petits couteaux…
A la fin du XIXe siècle, l’école républicaine de Jules Ferry glorifie les distinctions en tout genre.
Dix bons points valent une image représentant un animal ou un paysage, dix images généralement un livre ou un petit cadeau.
C’est aussi l’époque de la croix d’honneur ou croix de mérite épinglée chaque semaine sur la blouse du meilleur élément de la classe comme du tableau d’honneur placé dans le hall d’entrée de l’établissement sur lequel figurent celles et ceux ayant obtenu les meilleures notes.
En 1969, ces distinctions sont abandonnées, le ministère de l’Éducation ayant décidé de supprimer tout système de comparaison entre les élèves.
Dans ce contexte, les bons points, critiqués par les pédagogues, perdent du terrain.
Cette année, les bons points reviennent à la mode, modernisés et digitalisés ! Dans plusieurs académies, dont celle de Poitiers, leur résurgence prend la forme d’OPEN BADGES numériques à arborer « fièrement » sur son CV.
L’occasion était trop belle, de « distinguer » les « bons » et « mauvais » enseignants dans un contexte de prof bashing toujours présent !
Tout comme les soignants qui ne veulent pas d’une médaille même si elle a au moins le mérite d’être réelle, les enseignants ne veulent pas des OPEN BADGES ni des méthodes de new management qui les accompagne !
Par l’open badge, on tente une nouvelle fois de faire entrer le libéralisme dans l’Éducation.
Par cette culture de la compétition, on ne se contente pas d’infantiliser, on réussit aussi à faire oublier que la juste récompense doit passer par des augmentations de salaires.
On vise à instaurer entre les enseignants des pratiques de concurrence qui vont à l’encontre des valeurs de l’Éducation !
Enfin par l’open badge numérique, sont collectées des données dont l’utilisation échappera à celui-là même qui les a fournies et même très certainement finira par se retourner contre lui car son « mérite » sera soumis à toujours plus d’exigences !
Pendant le confinement, notre engagement a été total : temps de travail démesuré, double travail dans de nombreux établissements mixant présentiel et distanciel « par la force des choses » (voir triple avec les gardes d’enfants), engagement de fonds personnels tels que le matériel informatique, les connections internet…
Ce n’est pas une « reconnaissance » virtuelle que les enseignants attendent, mais bien une vraie revalorisation salariale et un arrêt du mépris que l’on leur porte !
Tout comme, au XIXe siècle on distribuait des « bons points » l’école de Jules Ferry était également extrêmement punitive ! L’élève encensé la veille, obtenant ses précieux bons points pouvait tous les perdre du jour au lendemain, pour peu que le tout puissant maître décide qu’on lui avait déplu.
De même dans certaines écoles, le maître peut distribuer des « mauvais points » qui, quand ceux-ci deviennent trop nombreux, conduisent à une privation de « récré », une mise au piquet voire au port du bonnet d’âne.
C’est ce qui se passe encore aujourd’hui pour trois professeurs du lycée de Melle qui ont osé participer à une action collective de dénonciation de la réforme des lycées, et en particulier des E3C injustes et totalement dépendants de conditions locales.
Alors que dans les conditions post confinement, le contrôle continu pour le baccalauréat est devenu obligatoire, plusieurs lycées ont choisi de modifier unilatéralement les notes que leurs élèves ont obtenues aux deux premiers trimestres, essayant ainsi d’augmenter leurs statistiques !
Ces indélicatesses avaient bien entendu été anticipées par les enseignants qui se positionnaient contre le baccalauréat local qu’entraîneront les E3C, corrigés en interne, choisis en interne et pour lesquels il ne restera plus à certains chefs d’établissement qu’à donner les sujets à l’avance.
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans l’académie de Tours.
La prochaine série d’E3C s’annonce encore bien pire puisqu’il a été annoncé un renoncement total au caractère national !
Les E3C sont morts, vive les EC, organisables n’importe quand et surtout n’importe comment !
Et pourtant, les enseignants de Melle, osant s’offusquer de ces pratiques, et participant à des mouvements de contestation, au lieu d’être récompensés par un OPEN BADGE « RÉSISTANT-TES » ont été suspendus quatre mois dans le cadre d’une « enquête » administrative qui se voulait à charge et qui a été tellement efficace qu’à la fin de celle-ci, il a fallu de nouveau les suspendre quatre mois supplémentaires afin que l’enquête se poursuive !
C’est pour cela que SUD ÉDUCATION revendique :
- L’abandon immédiat du dispositif des OPEN BADGE au profit d’une revalorisation salariale de tou.te.s les enseignant.e.s, qui contrairement à ce que voudrait nous faire croire la campagne actuelle de prof bashing se sont TOUTES ET TOUS énormément impliqués dans la continuité pédagogique annoncée dans l’urgence totale.
- L’abandon immédiat des mesures de répression à l’encontre des trois enseignant.e.s de Melle et leur réintégration immédiate dans leur poste !