Expression libre

L’école en milieu rural, pas si rose !

D’accord, la fermeture d’une école dans un petit village est souvent une catastrophe. En termes d’occupation du territoire, de maillage scolaire, d’attractivité, c’est une pierre de plus ôtée à l’édifice, au même titre que le bureau de poste, une boulangerie ou une épicerie.

Mais n’est-ce pas là une des nombreuses conséquences de la “simple” désertification des zones rurales. La démographie est têtue ! Les campagnes se vident, elles vieillissent et meurent à petit feu. C’est aussi simple que ça ! Tout d’abord, elles n’offrent plus à leurs habitants, faute d’emplois, les moyens d’y demeurer. Mais quand bien même certaines entreprises s’agrandissent, quand bien même certains secteurs y sont demandeurs, on se rend finalement compte que les salariés potentiels ne souhaitent pas habiter sur place, alors que certains villages offrent pourtant des structures scolaires jusqu’au collège et des commerces en quantité. Mais le monde rural n’attire pas : les gens qui y résident le font par choix (retraités, anglais, fonctionnaires parfois), ou par défaut surtout. On veut bien y séjourner le temps d’un confinement, s’y ressourcer pendant des vacances, mais surtout pas y vivre. Au final, et par conséquent, certains territoires ruraux s’apparentent peu à peu aux ghettos urbains avec une population qui n’a pas les moyens (culturels, financiers, scolaires) ou la confiance nécessaires pour « aller voir » ailleurs. Ils deviennent accessoirement un simple lieu de travail pour les urbains (médecins, enseignants, salariés divers, etc.) qui viennent y faire des piges le temps de pouvoir se rapprocher de leur ville de prédilection.

 

L’école a, comme les services publics en général, d’autant plus son rôle à jouer pour compenser ici les inégalités de traitement dont les gouvernements successifs nous accablent. La population de ces territoires dans laquelle on trouve un taux très important de classes sociales défavorisées (sans emploi, travailleurs pauvres) est lourdement frappée par les crises. Mais, de « là-haut », la fibre, les éoliennes en chapelets et la ligne de LGV sont la vitrine de la bonne occupation du territoire. En fait, derrière la vitrine, celui-ci est exclusivement utilisé pour produire (électricité, aliments…), mais il importe bien peu à l’État, et à la majorité des citoyens de notre beau pays, qu’il soit occupé et qu’une population puisse vouloir y résider. Cette population, vieille, peu nombreuse, est bien trop coûteuse pour les dépenses publiques. Inutile !

 

Donc oui on a d’autant ici vraiment besoin d’écoles fortes, puissantes, ancrées dans leur territoire. Mais elles ne peuvent exister, et perdurer, que s’il est dynamique, attractif. L’école ne fait pas le territoire. C’est le territoire qui fait l’école.

Ici aussi, dans notre Charente profonde, les jeunes enseignants sont bombardés en attendant mieux. Ils viennent faire “leurs classes”, souvent isolés avec leur multi niveau, apprenant douloureusement sur le tas dans les meilleurs cas, craquant rapidement dans les autres. Et les élèves ? Ôtons-nous l’image bucolique de l’enseignant chevronné jonglant avec sa classe unique perchée en haut de la montagne. Et les élèves donc ? Les jeunes collègues sont confrontés, sans repères et sans expérience, à des élèves issus majoritairement, nous l’avons dit, de classes sociales peu favorisées, et doivent s’échiner entre leurs niveaux multiples. C’est épuisant pour eux, et peu stimulant pour les élèves : faire l’ensemble de la scolarité de primaire avec les mêmes quatre ou cinq élèves, et parfois deux ou trois enseignants en tout et pour tout… Pas facile à la sortie de pouvoir apprendre ici la différence, la confrontation à la nouveauté, d’être portée par l’émulation. Le passage en collège est brutal, et je ne parle pas de celui vers le lycée ! Quant aux jeunes enseignants pouponnés en ville, ils ne sont pas forcément les mieux placés, ni les mieux formés, ni les plus expérimentés, pour compenser les manques de ces élèves si spécifiques, et utiliser au mieux leur propre richesse et celle de leur milieu.

 

En fin de route, à quelques années de la retraite, après une carrière passée exclusivement dans le milieu rural, je ne peux que constater amèrement la désagrégation en tant que corps homogène, et l’isolement, du peuple des campagnes. La cause en est tout simplement sa mise à l’écart, pesée et assumée, des politiques publiques, mais aussi le fossé béant qui le sépare du reste des Français. La « campagne » n’est plus, pour beaucoup, qu’un paysage de fond, un décor bucolique où l’on va s’extasier, un moment seulement, devant une fleur ou le chant d’un oiseau. Mais y vivre, y grandir ? La fleur et l’oiseau ne font plus le poids, et qu’importe d’ailleurs s’ils disparaissent inexorablement entre le marteau des « produits phytosanitaires » et les conséquences du réchauffement climatique. Le fossé donc ne se comblera pas avec des idées toutes faites et les vœux pieux.

Le monde rural, du moins le peuple rural, n’a donc pas, pour nos décideurs, mais aussi pour bon nombre de Français, la moindre importance, et ceux-ci sont persuadés qu’on ne doit pas lui accorder plus que des regards distraits, à l’abri de la fenêtre d’un TGV qui bruisse à 300 kms/h entre Paris et Bordeaux.

L’école en milieu rural, pas si simple !

 

 

Un instituteur en terre calcaire

 

 

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